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Dans tes yeux
Un amour dans le ghetto

« Oui, en 1941, dans le ghetto de Varsovie de mon enfance, l’amour était présent.
Dans tes yeux raconte l’histoire d’un rêve d’amour et celle du mal absolu.
Ce mal dont je suis l’un des survivants. L’un des témoins.
Mais témoigner du mal nous préserve-t-il de son retour ?
Dans tes yeux est le cri d’amour d’une jeune fille.
Une jeune fille qui pensait comme Anne Frank, alors que celle-ci connaissait d’avance son destin tragique :
Je continue à croire que les hommes sont fondamentalement bons et généreux. »

Dans ce roman où résonne le cantique des cantiques, le plus beau chant que la Bible nous ait légué, Marek Halter livre un message bouleversant d’amour, de mémoire et de paix.

Grand romancier du peuple juif et des figures majeures des trois religions monothéistes, Marek Halter a consacré sa vie à promouvoir la paix et la fraternité entre les peuples.

Interview de l’auteur

Pourquoi avoir écrit ce livre ?

Dans tes yeux est un texte court. Et, il me semble, l’un des plus forts que je n’ai jamais écrit. Il s’est imposé comme une évidence. Le moment est venu de reconstituer, pour mes lecteurs et moi, le monde qui m’a vu naître et qui n’est plus. Disparu, comme l’Atlantide de Platon. Détruit par des chars et enseveli par des bulldozers maniés par des hommes qui n’aimaient pas la vie. Ce monde-là, ce n’est pas moi qui le raconte, mais une jeune fille de douze ans nommée Sulamithe, comme la Sulamithe du Cantique des cantiques, le plus beau texte d’amour de la Bible dans lequel elle se réfugie. De sa cour d’immeuble, qui est son univers, elle pose son regard sur les derniers jours d’une société dont les images et les odeurs hantent encore mon esprit.

Ce que Sulamithe raconte sous votre plume est-il le reflet de votre propre mémoire ?

Oui, et une mémoire de plus en plus présente avec le temps. Elle devient, dans un monde sans rêves collectifs, une référence permanente pour comprendre et juger les événements et les Hommes. Comme Sulamithe, je suis né à Varsovie, ville d’un million d’habitants, dont le tiers était juif. Avec ses restaurants et ses journaux, ses cinémas et ses théâtres, ses pauvres et ses riches, ses voleurs et ses mendiants, ses partis politiques, sa langue — le yiddish, ma langue maternelle… À Varsovie, chacun vivait accroché à l’air du temps. Ses nombreuses cours, qui sentaient bon le pain frais et le hareng salé, étaient comme des villages. On y vendait à la criée aussi bien des fruits venus de Palestine que des journaux en yiddish. La ville en comptait sept: de gauche, de droite, religieux, laïcs… À toute heure du jour et de la nuit, des grappes d’hommes, dans leurs redingotes noires, commentaient à grands gestes les nouvelles du jour. Les femmes, elles, blanchissaient le linge dans des lavoirs autour desquels jouaient des enfants en bas âge. Dans la bousculade du marché du dimanche, le lendemain du shabbat, et les appels des vendeurs de volailles, je me rappelle ce vieux juif bossu qui attendait depuis toujours un client pour ses trois tomates ratatinées. Bref, tout un monde.

Jusqu’au mois de septembre 1939, prélude de son naufrage, quand les Allemands envahirent la ville…

C’était le premier jour de Kippour, le « jour du Grand Pardon». Il faisait froid. Mais le ciel était bleu. Les Juifs priaient dans les synagogues. La ville brûlait. Je sens encore l’odeur de roussi dans mes narines. Curieusement, ce sentiment de peur et de révolte m’envahit depuis chaque fois que je me heurte à la haine. Le 2 octobre 1940, le gouverneur nazi Ludwig Fischer décréta la création du ghetto à Varsovie. Les Juifs, habitués aux persécutions, au lieu de se révolter – ce qu’ils firent plus tard, trop tard –, s’organisèrent pour survivre. En dépit du déluge imminent, ce peuple singulier, le seul à ma connaissance qui soit ancré à ce point dans le Livre, croyait que celui-ci le protégerait de la noyade. En attendant, il créa un prodigieux réseau d’entraide médicale, sociale et culturelle. Son souci : rendre moins pénible la vie de quatre cent mille hommes, femmes
et enfants entassés dans un quartier de la ville prévu pour accueillir quarante mille habitants.

Le ghetto comme périmètre d’une ville coupée du monde?

Oui, une sorte de léproserie dont les malades sont isolés en raison de leur appartenance au peuple juif. Cette idée est née un jour de l’an 1516 dans la cervelle d’un doge de Venise. À Varsovie, en 1940, le ghetto devint l’un des plus grands « cimetières de vivants », réserve pour un peuple condamné à disparaître. Les Allemands y drainèrent progressivement les Juifs des environs, augmentant la population du ghetto. Mais le désir de la vie est plus fort que la mort. Aussi, avec un espoir insensé, les habitants  juifs de Varsovie recréèrent, dans l’espace qui leur était assigné, un lieu à eux, où les théâtres poursuivirent tant bien que mal leurs représentations devant un public enthousiaste, oubliant, le temps du spectacle, l’angoisse du lendemain.

Qu’attendez-vous de ce livre ?

J’aimerais faire revivre la mémoire de ce monde englouti. J’aimerais entraîner mes lecteurs dans cette époque que je décris et qui m’a vu naître. De ce passé, si contemporain, on découvre encore des textes d’auteurs qui auraient pu devenir célèbres, et des lettres d’amour de jeunes gens qui auraient pu, en d’autres temps, se fiancer ou se marier au son de la musique klezmer. Historiens et romanciers, peut-être par pudeur, ne se sont jamais demandé comment l’amour et le désir ont pu survivre dans des situations aussi dramatiques. Même dans les camps de la mort, où, me racontait Elie Wiesel, on surprenait un regard qui portait en lui le souvenir d’un amour rêvé ou vécu, amour qui émanait d’un corps squelettique, et suscitait pourtant le désir entre deux êtres. Ce ne sont pas des hommes, mais des jeunes filles qui, dans leurs journaux intimes, nous ont légué les traces de ces aventures qui n’ont pu aboutir.

Pourquoi avoir choisi le roman pour ce travail de mémoire ?

Je suis un conteur. L’amour entre Sulamithe et Salomon, son bien-aimé, aurait pu exister réellement. Il fait partie de ces histoires que les conteurs transmettent de génération en génération. Comme celles d’Orphée et Eurydice, de Roméo et Juliette, ou de Rouslan et Ludmila. Elles sont semblables, et pourtant si différentes, en raison de l’environnement dans lequel elles se déroulent. L’amour peut éclore telle une fleur, même sur un sol jonché de déchets. Orphée essaie de délivrer Eurydice des Enfers, tandis que dans le ghetto, ce purgatoire, cette antichambre de la fin, Sulamithe accepte d’y suivre Salomon pour vivre pleinement leur amour. Dans ces pages, j’ai voulu décrire la vie quotidienne d’hommes et de femmes comme nous, mais qui se réveillent tous les jours devant la porte de l’enfer, en espérant que le souffle divin leur en épargnera l’accès. Enfant, j’ai connu ces gens et cette attente. Même si ma famille a eu la chance d’être secourue par des amis catholiques de mon père, imprimeurs et syndicalistes comme lui.

Votre livre résonne fortement avec les drames actuels et la résurgence de l’antisémitisme. C’est important qu’il soit publié aujourd’hui ?

Dans tes yeux charrie deux histoires parallèles entremêlées : une histoire d’amour et celle du mal absolu, à travers le regard de Sulamithe. Ce mal dont je suis l’un des survivants. L’un des témoins. Mais témoigner du mal nous préserve-t-il de son retour ? Connaître une maladie empêche-t-il de tomber malade ? Non, bien sûr. La preuve: la haine du Juif, qui s’inscrit à nouveau sur les façades de nos immeubles. Or, la haine, si elle déshumanise ceux qui la portent, ne rend pas les haïs moins humains. Oui, même dans le ghetto, entre des hommes et des femmes terrassés par la faim et condamnés à mort, l’amour existait. Le désir aussi. Enfin, l’espoir. Comme sa « sœur » d’Amsterdam Anne Frank, Sulamithe raconte… Dans tes yeux est son récit. Il est aussi celui de millions de jeunes filles, de l’Afghanistan à l’Iran, qui rêvent d’amour, ce dont les guerres, les persécutions et les préjugés les privent.

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