Par son soutien militaire, fi nancier et diplomatique, l’Occident a permis à l’Ukraine d’infliger de lourds revers à l’armée russe sur le terrain. Si faire la guerre à l’OTAN est impossible, tous les gouvernements occidentaux savent que le Kremlin ne se privera pas d’essayer de nous punir pour cela.
Dans Les Fantômes de Kiev, les services secrets russes ont réussi à dérober discrètement un lot de missiles antiaériens fournis par la France à l’Ukraine. Leur but : les faire aboutir dans les mains d’un groupe islamiste pour que ce dernier détruise des avions français et paralyse nos aéroports. Le livre – une pure fiction, je le précise – décrit la traque menée par Edgar Van Scana, un des meilleurs agents noirs de la DGSE, pour retrouver les missiles avant que le pire n’arrive.
Votre livre est extrêmement bien documenté sur les stratégies développées par les services de renseignement. D’où vous vient cette connaissance exceptionnelle ?
De la même manière que la plupart des auteurs de romans policiers ne sont pas policiers eux-mêmes, il n’est nul besoin d’être un ancien agent de renseignement pour écrire des romans d’espionnage précis et crédibles. En revanche, cette matière nécessite une très bonne compréhension du fonctionnement de l’État et de bénéficier d’informations précises et fiables.
J’ai eu la chance de commencer ma vie professionnelle de jeune énarque au ministère des Finances dans le service de contrôle antiblanchiment des investissements étrangers en France, ainsi que des sanctions fi nancières contre l’Irak, la Serbie et la Libye. Parmi nos correspondants habituels se trouvaient les principaux services de renseignement français, qui se révélèrent une source inégalée d’informations. Ensuite, comme diplomate à Londres, j’ai continué à travailler sur les mécanismes de sanctions fi nancières internationales, en lien avec nos partenaires occidentaux.
La vie est faite de rencontres. J’ai créé à cette époque des relations avec des personnes dont certaines sont devenues, au fil des ans, des proches et parfois même des amis. Aussi, lorsque j’ai commencé à écrire des thrillers comprenant une composante espionnage, c’est tout naturellement vers eux que je me suis tourné pour m’aider à rendre mes romans les plus réalistes possible.
Les hommes et les femmes qui travaillent dans le monde du renseignement sont fiers (à raison !) de ce qu’ils font, mais ils ne sont pas disposés à partager anecdotes, détails opérationnels ou retour d’expérience s’ils ne se sentent pas en confiance. Disons que ma principale qualité a été d’établir avec un certain nombre d’entre eux des relations de transparence, de respect et de sincérité. Si mes livres ont cette « patte réaliste », c’est d’abord grâce à eux.
Les services de renseignement de l’armée de la Fédération de Russie sont au centre de votre roman. Quelles sont leurs spécificités ?
Dans Les Fantômes de Kiev, Edgar Van Scana, mon héros, affronte un groupe d’élite du GRU qui existe vraiment, l’unité 29155. Le GRU est le service d’action secrète opérationnelle de l’armée russe. Il est très offensif. Une de ses spécialités est l’élimination, au moyen de poisons et d’armes radioactives, de ceux qui représentent une gêne pour le pouvoir russe. L’Occident ne peut jamais prouver juridiquement que la Russie est derrière ces actions, mais tout le monde sait que le GRU en est responsable. Cela lui permet de laisser une « signature » claire tout en niant assez cyniquement être impliqué. Le lecteur découvrira leurs méthodes très spéciales au fil du roman.
À ce propos, pouvez-vous nous dire un mot de la générale Olga Ranevskaïa, cheffe des opérations noires du Kremlin, que vous mettez en scène dans votre livre ? Correspond-elle à un profil possible en Russie ?
Le personnage d’Olga Ranevskaïa est construit à partir de personnes réelles qui gravitent autour du Président Poutine. Elle est d’une grande sophistication. Déterminée, très intelligente, ne doutant de rien, elle a le pouvoir d’actionner tous les leviers militaires, policiers, techniques et informatiques de l’État Russe. Une adversaire redoutable. Edgar et ceux qui l’accompagnent vont se retrouver assez vite en mauvaise posture.
Le roman d’espionnage connaît aujourd’hui un véritable engouement. À quoi l’attribuez-vous ?
Au retour de l’Histoire (avec un grand H) dans nos vies !
Après la chute du communisme, beaucoup de nous ont cru que la démocratie libérale était la nouvelle frontière commune au monde, que nous ne subirions plus de guerres, à part peut-être des guerres commerciales. Et voilà que, soudain, l’Europe, une puissance « herbivore », s’est retrouvée confrontée à des ennemis férocement carnivores: le terrorisme islamique à grande échelle, puis le « russisme » Poutinien. Demain, peut-être, Erdogan, Jinping ou d’autres dirigeants sans scrupules ni contre-pouvoirs décideront de s’emparer de terres et de peuples qui se refusent à eux.
Dans cet environnement cruel de guerres qui ne disent pas leur nom, les services de renseignement sont en première ligne. Avec Daech et l’Ukraine, les Français ont compris que la menace était physique et concrète, et que les soldats de l’ombre sont la première ligne de défense. Cela explique le regain d’intérêt pour les hommes et les femmes de l’espionnage. À nous, les auteurs, d’apporter grâce à la fiction un éclairage intelligent à la complexité du monde. À cet égard, j’ai toujours été persuadé que le thriller n’est pas qu’un genre mineur et qu’il peut véritablement jouer un rôle particulier dans la compréhension des dynamiques géostratégiques pour le grand public.
Quels sont, pour vous, les grands maîtres du genre ?
Frédéric Forsyth, Robert Ludlum, Ken Follet et Tom Clancy. Côté auteurs français, Gérard de Villiers occupait une place particulière, par son sens du détail vrai et sa manière de rendre intelligible le dessous des cartes. Même si son traitement des personnages féminins était à l’opposé des valeurs que je défends.
Êtes-vous allé sur place, en Ukraine, dans le cadre des travaux préparatoires de votre livre ?
Je m’y suis rendu à l’automne dernier. Sentir le terrain pour de vrai fait partie du travail documentaire de base qu’un auteur sérieux doit à ses lecteurs. Je n’aurai pas écrit le même livre si je m’étais contenté de regarder des images prises par d’autres. Je pense que le lecteur sentira ce vécu.
Votre héros Edgar, après l’Afghanistan et l’Ukraine, repartira-t-il sur d’autres théâtres de la guerre de l’ombre ?
Oui, bien sûr. Il sera envoyé partout là où ça chauffe! Sa prochaine mission sera en Asie.